jeudi 10 octobre 2013

Faire avec, ou sans




Découvrez si vous êtes quelque chose de physique. L’Être éternel est l’état d’où vous êtes absent…

                      Douglas E. Harding

vendredi 27 septembre 2013

Le Temps



Et c'est parce qu'ils contiennent ainsi les heures du passé que les corps humains peuvent faire tant de mal à ceux qui les aiment, parce qu'ils contiennent tant de souvenirs, de joies et de désirs déjà effacés pour eux, mais si cruels pour celui qui contemple et prolonge dans l'ordre du temps le corps chéri dont il est jaloux, jaloux jusqu'à en souhaiter la destruction.
Car après la mort le Temps se retire du corps et les souvenirs - si indifférents, si pâlis - sont effacés de celle qui n'est plus et le seront bientôt de celui qu'ils torturent encore, eux qui finiront par périr quand le désir d'un corps vivant ne les entretiendra plus.
Profonde Albertine que je voyais dormir et qui était morte.
J'éprouvais un sentiment de fatigue et d'effroi à sentir que tout ce temps si long non seulement avait sans une interruption été vécu, pensé, sécrété par moi, qu'il était ma vie, qu'il était moi-même, mais encore que j'avais à toute minute à le maintenir attaché à moi, qu'il me supportait, moi, juché à son sommet vertigineux, que je ne pouvais me mouvoir, sans le déplacer comme je le pouvais avec lui.
La date à laquelle j'entendais le bruit de la sonnette du jardin de Combray, si distant et pourtant intérieur, était un point de repère dans cette dimension énorme que je ne me savais pas avoir. J'avais le vertige de voir au-dessous de moi, en moi pourtant, comme si j'avais des lieues de hauteur, tant d'années.
Je venais de comprendre pourquoi le duc de Guermantes, dont j'avais admiré, en le regardant assis sur une chaise, combien il avait peu vieilli bien qu'il eût tellement plus d'années que moi au-dessous de lui, dès qu'il s'était levé et avait voulu se tenir debout, avait vacillé sur des jambes flageolantes comme celles de ces vieux archevêques sur lesquels il n'y a de solide que leur croix métallique et vers lesquels s'empressent des jeunes séminaristes gaillards, et ne s'était avancé qu'en tremblant comme une feuille, sur le sommet peu praticable de quatre-vingt-trois années, comme si les hommes étaient juchés sur de vivantes échasses grandissant sans cesse, parfois plus hautes que des clochers, finissant par leur rendre la marche difficile et périlleuse, et d'où tout d'un coup ils tombaient.
(Etait-ce pour cela que la figure des hommes d'un certain âge était, aux yeux du plus ignorant, si impossible à confondre avec celle d'un jeune homme et n'apparaissait qu'à travers le sérieux d'une espèce de nuage ?)
Je m'effrayais que les miennes fussent déjà si hautes sous mes pas, il ne me semblait pas que j'aurais encore la force de maintenir longtemps attaché à moi ce passé qui descendait déjà si loin.
Aussi, si elle m'était laissée assez longtemps pour accomplir mon œuvre, ne manquerais-je pas d'abord 'y décrire les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant une place si considérable, à côté de celle si restreinte qui leur est réservée dans l'espace, une place, au contraire, prolongée sans mesure, puisqu'ils touchent simultanément, comme des géants, plongés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes, - entre lesquelles tant de jours sont venus se placer - dans le Temps.

Marcel Proust

lundi 9 septembre 2013

Espace




Si avons-nous beau monter sur des échasses, car sur des échasses, encore faut-il marcher de nos jambes, et au plus élevé trône du monde, si nous ne sommes assis que sur notre cul.

Montaigne

jeudi 8 août 2013

Choses Normandes



Du milieu si paisible et doux de toutes ces choses végétales on peut regarder la paix des mers, ou la mer orageuse, et les vagues couronnées d’écume et de mouettes, qui s’élancent comme des lions, faisant onduler sous le vent leur crinière blanche. Mais la lune, invisible à tous pendant le jour, mais qui continue à les trouver de son magnifique regard, les dompte, arrête soudain leur assaut et les excite de nouveau avant de les faire reculer encore, sans doute pour charmer les mélancoliques loisirs de l’assemblée des astres, princes mystérieux des ciels maritimes. Celui qui vit en Normandie voit tout cela.
Extrait du texte Choses normandes,
écrit par Marcel Proust en septembre 1891

samedi 29 juin 2013

A quelle distance suis-je des choses ?



Au sein de l’univers les galaxies sont très éloignées les unes des autres, à des dis-tances parfois bien difficiles à mesurer, tant elles sont importantes. En plus à cette échelle, les notions de temps et d’espace sont très intriquées, le temps pouvant courber l’espace ou l’espace pouvant modifier le temps, comme dans le film La Planète des singes.

Dans le système solaire les planètes sont séparées les unes des autres, chaque planète étant à une certaine distance du soleil. Ces distances sont variables car les planètes sont en mouvement permanent les unes par rapport aux autres et chacune par rapport au soleil.

Sur Terre aussi, toutes les choses sont séparées et distantes : les villes, les maisons, les montagnes, les arbres… Ces distances sont un peu plus stables car ce sont des choses qui, sauf catastrophe naturelle, ne bougent pas, du moins à l’échelle de notre temps humain.

Les distances sont plus variables entre les êtres vivants, qui sont souvent en mouvement.

Au niveau atomique, les distances sont de nouveau beaucoup plus difficiles à mesurer entre les atomes ou entre les particules qui composent la matière. En effet, les mouvements des particules sont tellement rapides, leur agitation est si intense, que mesurer la distance entre elles à un moment précis est très délicat.

Mais, quoi qu’il en soit, les choses ont cette caractéristique commune d’être toujours séparées les unes des autres par un espace, par une distance. Elles sont toujours exclusives. C’est l’une ou l’autre. Quand deux choses sont l’une contre l’autre, l’analyse plus fine nous montre que, malgré tout, elles sont toujours séparées et donc distantes l’une de l’autre.

Les distances peuvent être mesurées au moyen de divers instruments, le mètre est celui qui est le plus souvent utilisé dans notre vie quotidienne. Nous employons donc une chose, un objet, pour mesurer la distance entre deux choses.


Avec une règle, je peux, par exemple, mesurer la distance entre deux peluches. Les graduations sur la règle me permettent de dire combien de centimètres séparent ces animaux. Ma vue me permet de voir cette distance sur la règle.
Je peux mesurer la distance entre deux peluches.

Si maintenant je fais pivoter la règle et essaie de voir la distance entre moi (ce qui regarde en moi) et le singe, je ne peux plus voir les graduations sur la règle. La règle se limite à un point, ou plutôt à un trait vertical ! Je suis donc incapable de voir la distance qui me sépare du singe.

Je peux essayer avec un autre objet ou avec ma main. Je me trouve toujours dans l’impossibilité de voir la moindre graduation sur la règle et donc de mesurer la moindre distance entre moi et les choses. De mon propre point de vue, il n’y a pas de distance mesurable entre moi et les choses !

À cela on pourrait objecter le fait que je puisse demander à quelqu’un de regarder sur la règle la distance entre moi et l’objet. Oui, mais alors ce serait une vue extérieure : « Les autres me disent que la distance entre moi et l’objet est de tant de centimètres. » Il ne s’agit plus de mon expérience personnelle. Pour les autres je suis distant de toutes les choses, je ne le nie pas, mais ce n’est pas mon expérience, ma perception personnelle dans l’instant. Et c’est elle que j’essaie de retrouver au travers des expériences.

Je ne joue pas sur les mots. Dans l’évidence de l’instant, aucune distance n’est mesurable, pour moi, entre moi et une chose. Cela est toujours vrai en toutes circonstances, aussi étonnant que cela puisse paraître.

Mais il y a une explication à cela. Ce que je suis pour moi n’est pas une chose ! La distance entre une « non-chose » et une chose ne peut pas être mesurée. Ce que je suis n’a pas d’interface avec le monde. L’espace qui est découvert ici n’a pas de limites. Il n’y a pas un endroit où cet espace s’arrête et où le monde commence, et à partir duquel je pourrais effectuer une mesure.

L’observation est évidente, les conclusions à en tirer vont dépendre de chacun, comme toutes les conclusions tirées de chacune des expériences. Je partage les miennes avec vous, mais vous pouvez tirer de l’observation d’autres conclusions que moi. Vous êtes libres.

Je pivote la règle.

Je ne peux pas voir la distance qui me sépare du singe.


Ce qui me vient à la suite de cette expérience, c’est que tout ce monde phénoménal, constitué d’objets distants les uns des autres, serait ici, ici où se trouve la pure conscience qui permet à ce là-bas d’exister. Et cet ici exploserait en tout ce qui est là-bas grâce à une création permanente qui se ferait ici et maintenant.

Je peux alors réaliser que le ici et le là-bas sont réunis, ont fusionné pour réaliser l’Un. Ce Un que je suis rend possible le ici et le là-bas, mais il n’est aucun des deux. Je suis juste ce qui rend cela possible. Je suis simplement la pure conscience de ce qui est perçu.

Cette expérience est simplissime et le mental peut être très réticent à jouer le jeu si simple de l’observation pure, car il a tellement l’habitude de reconstruire le monde en pensées. Les conséquences de cette expérience font réellement « exploser » le mental.


Philippe fabri 

"Ce que je suis, les autres ne le voient pas". Ed. Altess
Préface d'Alain Bayot

mercredi 19 juin 2013

A quelle distance suis-je de Dieu ?



Vous désirez savoir si la grâce n'a ni cause ni raison d'être. Certainement, car c'est la nature même (je la grâce d'être au-delà de toute cause et de toute raison. Lorsqu'on travaille, on recueille les fruits de ses actions. Si par exemple vous servez votre père et que celui-ci, content de vous, vous offre un cadeau, ce cadeau pourrait être qualifié de fruit de l'action. Quelqu'un exécute un travail et en est récompensé. Mais le lien naturel qui existe de toute éternité entre père et fils ne dépend certes pas d'une action particulière. En vérité, c'est Dieu qui est le Père suprême, la Mère ou l'Ami suprême. En conséquence, comment pourrait-il y avoir cause ou raison à Sa grâce? Vous êtes à Lui, et, quel que soit le chemin qu'Il choisisse pour vous attirer à Lui, Son seul but est de Se révéler à vous. Ce désir de Le trouver qui s'éveille dans le cœur de l'homme, qui donc l'a insufflé en vous? Alors qui vous pousse à en rechercher l'accomplissement?

Ainsi vous devriez essayer de comprendre que tout provient de Lui. Tous les pouvoirs, toute l'habileté que vous pouvez avoir - et même vous, vous-même - d'où tout cela surgit-il? Et est-ce que le but de tout cela n'est pas de Le trouver, de détruire le voile de l'ignorance? L'ensemble de ce qui existe a sa source en Lui seul. Alors vous devez essayer de vous réaliser. Est-ce que même une seule respiration dépend de vous? Si vous comprenez que la moindre liberté d'action qu'Il vous permette de sentir en vous doit être utilisée pour aspirer à Le réaliser, cela vous sera salutaire. Mais si vous vous prenez pour l'auteur de l'action, si Dieu vous semble si loin de vous que vous ne travailliez que pour voir vos désirs exaucés, ce ne sera pas une action juste. Vous devriez considérer chaque chose comme une manifestation de Lui. Si vous sentez que Dieu existe, Il se révélera à vous avec une compassion, une bienveillance, une clémence qui correspondront à votre attitude ,envers Lui à ce moment-là. Pour l'humble, par exemple, Il devient le Seigneur des humbles.
Si vous dites « Il est immuable et pourtant Il agit » vous voyez en Lui l'auteur de l'action, alors qu'en réalité Il est sans action. Puisque votre ego se considère comme l'auteur de l'action, vous le concevez comme agissant lui aussi.
Ce que vous voyez en Lui, naturellement Il l'est. En revanche, réfléchissez-y bien, là où CELA est, qui doit devenir l'auteur de quoi et sur quoi doit-il agir? Il marche sans pieds, Il voit sans yeux, Il entend sans oreilles, Il mange sans bouche. Vous pouvez Le décrire n'importe comment, et Il J'est.
Lorsqu'un sâdhak(1) commence à vénérer le vigraha(2) de soit Bien-aimé, il parvient au cours de son ascèse à un état où l'image de son Bien-aimé lui apparaît partout où se porte son regard. Ensuite il se rend compte que toutes les autres divinités sont contenues dans son Bien-aimé. Il découvre que le Seigneur de chacun, et en fait toutes choses, sont contenus dans son Ishta(3) et que son lshta réside également dans toutes les divinités, comme en toutes choses. Le sâdhak en arrive à sentir : «Si mon Seigneur vit en moi, Celui qui est présent en tous les autres est véritablement le même Seigneur. Mon Bien aimé demeure partout dans la totalité de l'univers, dans l'eau et dans la terre, dans les arbres, les arbrisseaux et les lianes.
Et puis, toutes ces formes variées et ces façons d'être que nous voyons ne sont-elles pas des expressions de mon Bien-aimé? Car il n'existe nul autre que Lui. Il est plus petit que le plus petit, plus grand que le plus grand. »
Poussés par vos tendances innées, qui sont différentes, vous adorez chacun une autre divinité. Le véritable progrès dans l'ascèse spirituelle est déterminé par la sincérité et l'intensité de l'aspiration. Le niveau spirituel atteint par un individu se mesure à ce que lui témoigne son Ishta, qui ne reste certainement pas inaccessible ni séparé de Son adorateur mais lui permet d'entrer en contact avec Lui de mille façons différentes. Tout conditionné que vous êtes, vous trouverez le tout en vous et d'autre part vous serez capable de comprendre que vos tendances personnelles innées font aussi partie du tout. Tout ceci ne représente qu'un point de vue. Vous ne pouvez pas vous dissocier de l'Ensemble.
Les multiples sortes d'animaux, d'hommes etc., que sont-elles? Et ces innombrables formes et modes de vie, que sont-ils, quelle en est l'essence? Que sont en réalité ces formes toujours changeantes? Graduellement, lentement, parce que vous êtes ravi dans la contemplation de votre Bien-aimé, Il Se révèle à vous en toutes ces formes et variétés; pas le moindre grain de sable qui en soit exclu. Vous comprenez que l'eau et la terre, les plantes et les animaux, les êtres humains ne sont que des formes de votre Bien-aimé. Certains l'éprouvent ainsi. La réalisation ne revêt pas le même aspect pour tous. Infinies en sont les possibilités. C'est pourquoi l'individu moyen ne sait pas d'avance quelle est la voie particulière selon laquelle l'universel se révélera à lui dans son infinitude.
(1) Sâdhak : celui qui pratique une Sadhana, une ascèse  pour se préparer à la réalisation du Soi.
(2) Vigraha : Présence extérieure concrète se présentant comme forme. Représentation plastique consacrée par des mantras ou par la dévotion et l'adoration de l'adorateur et qui devient la Divinité.
(3) Ishta : La divinité d'élection que l'on adore, l'objet de la recherche suprême de l'adorateur. L'Ishta apparaît avec une forme sur le plan inférieur, mais en réalité elle n'est que le soi qui est au-delà de toute forme.

L'enseignement de Ma Anandamoyi" (pp130-132 Ed. Albin Michel

vendredi 17 mai 2013

vision sans moi !



J'étais une colombe, avec un boulet de plomb à
la patte.



Tu m'as délivré du monde, tu as fait voler en 
éclats le faux ciel des idées, tu as déchiré l'étoile
peinte des séductions.

Christian Bobin   La Présence Pure

mercredi 1 mai 2013

Éclats de Silence




"Ce que vous cherchez est déjà-là". Mais on ne l'entend pas.
Pour moi, il suffit uniquement et simplement d'orienter sa pratique
sur l'acceptation ou la non discussion absolue de l'impermanence.
Autrement dit, être ici et maintenant en plein accord avec le
contexte de l'instant au lieu de se préoccuper de l'Être. C'est tout.
Le reste ce fait de lui-même.
 J'ai bien conscience que ce que j'affirme là peut choquer car cela 
s'oppose à des idées très répandues:" C'est quand j'aurai fini de
travailler sur mes problématiques inconscientes, c'est quand je 
n'aurai plus cette difficulté, etc.; qu'enfin j’accéderai à l'être"
Et là, on reconditionne l'être par l'avoir, par des conditions, alors
que l'Être échappe à toute condition.
  La qualité d'Être apparaît dans la vie quotidienne quand
elle n'est pas comparé à autre chose. Le travail est de voir
que tout ce qui se produit maintenant et à chaque moment
est l'expression de l'Être, du Un, de Dieu, qui se singularise
dans la pluralité des formes changeantes. C'est-à-dire que
tout change à chaque instant, que l'on ne sait pas pourquoi,
et qu'il est impossible de le savoir.

                                                                                                Éclats de silence    Daniel Morin
  

mercredi 10 avril 2013

La Paix (suite)



La Paix:
Elle est la fondation de la demeure de la justice et de la dignité.
Elle est la force salvatrice des hommes contre la monstruosité.
Elle est le remède du coeur face à l'angoisse des âmes agitées.
Elle est l'hymne des chérubins qui portent le trône Divin.
Elle est le nom béni de Dieu invoqué par toute la création.
Elle est enfin, Salam, à laquelle j'invite et consacre toute ma dévotion


                                                      Khaled Bentounès, Maître Spirituel soufi de la confrérie Alawia

mardi 9 avril 2013

La Paix



La Paix:
Elle est la fleur au parfum enivrant du jardin de quiétude.
Elle est le mouvement d'amour qui submerge et unit les coeurs de pardon et de mansuétude.
Elle est la monture du héros qui combat l'intolérance.
Elle est ma méditation suprême du sage noyé dans l'éternelle présence.
Elle est la plume du savant qui éveille et transmet la connaissance
Elle est l'encre de l'alphabet céleste, mystère de l'essence.

Khaled Bentounès, Maître Spirituel soufi de la confrérie Alawia

dimanche 31 mars 2013

Pâques



Les feuilles du chêne tombent, le nid du
geai apparaît. Vieillir est une illumination.

Frotter la pièce d'or mise dans notre main 
à notre naissance, afin qu'elle brille dix mille
fois plus quand la mort nous la volera.

Christian Bobin

jeudi 14 mars 2013

Lire



Si
Ecrire,
C'est dessiner une porte sur un mur
infranchissable, et puis l'ouvrir

Lire,
c'est deviner cette porte,
oser l'ouvrir, pour
se sentir relié à 
un rayon de lumière

Dans mon coeur 
Derrière la porte, un merle du Creusot
continue la composition de sa fugue.



mardi 12 mars 2013

Ecrire




Ecrire,
C'est dessiner une porte
sur un mur infranchissable,
et puis l'ouvrir.

Christian Bobin

mercredi 6 mars 2013

Eternité ?



L'absolu a éclaté sur le carrelage dans un
bruit de vaisselle précieuse. De toute façon
on ne s'en servait jamais.

Hier j'ai, grâce à un geste vif, attrapé un
bout de la tunique du Christ. C'était un
carré de silence.


Christian Bobin

samedi 16 février 2013

Les deux Amis



Houps et Dawson




Deux vrais amis vivaient au Monomotapa;
L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre.
            Les amis de ce pays-là
            Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.

Une nuit que chacun s'occupait au sommeil,
Et mettait à profit l'absence de soleil,
Un de nos deux amis sort du lit en alarme ;
Il court chez son intime, éveille les valets :
Morphée avait touché le seuil de ce palais.
L'ami couché s'étonne; il prend sa bourse, il s'arme,
Vient trouver l'autre et dit : «Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paraissez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme :
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée ; allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul? Une esclave assez belle
Était à mes côtés ; voulez-vous qu'on l'appelle ?
- Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point:
            Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes, en dormant, un peu triste apparu ;
J'ai craint qu'il ne fut vrai; je suis vite accouru.
            Ce maudit songe en est la cause.»

Qui d'eux aimait le mieux ? Que t'en semble, lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose!
Il cherche vos besoins au fond de votre coeur;
            Il vous épargne la pudeur
            De les lui découvrir vous-même :
            Un songe, un rien, tout lui fait peur
            Quand il s'agit de ce qu'il aime.


La Fontaine   Fables

vendredi 8 février 2013

Le droit de suivre son chemin




" Mesdemoiselles, ce n'est point sous les espèces du
vocabulaire et de la syntaxe que la Littérature commence à
nous séduire. Rappelez-vous tout simplement comme les
Lettres s'introduisent dans votre vie. Dans l'âge le plus
tendre, à peine cesse-t'on de nous chanter la chanson qui
fait le nouveau né sourire et s'endormir, l'ère des contes
s'ouvre. L'enfant les boit comme il buvait son lait. Il exige
la suite et la répétition des merveilles ; il est un public
impitoyable et excellent. Dieu sait que d'heures j'ai
perdues pour abreuver de magiciens, de monstres, de
pirates et de fées, des petits qui criaient : Encore! à leur
père épuisé." 


Daniel Pennac

dimanche 13 janvier 2013

Dessine moi un arbre


Photo de Valentin

Le chêne devant la fenêtre a sa nudité
d'hiver. Je me penche sur le livre. Quand je
relève la tête je surprends l'arbre ruisselant
de vert : l'hiver a duré une seconde.

Christian BOBIN

dimanche 6 janvier 2013

Ça ne tourne pas rond





   Çà ne viendrait pas à l'idée d'une planète
de tourner autour de la mauvaise étoile.....
Alors, Esprit de l'Homme, pourquoi te
trompes-tu d'axe ?


Steve Jourdain