C'est au mois de marie que je me souviens d'avoir commencé à
aimer les aubépines. N'étant pas seulement dans l'église, si sainte,
mais où nous avions le droit d'entrer, posées sur l'autel même,
inséparable des mystères à la célébration desquels elles prenaient
part, elles faisaient courir au milieu des flambeaux et des vases
sacrés leurs branches attachées horizontalement les unes aux autres
en un apprêt de fête, et qu'enjolivaient encore les festons de leur
feuillage sur lequel étaient semés à profusion, comme sur une traîne
de mariée, de petits bouquets de boutons d'une blancheur éclatante.
Mais, sans oser les regarder qu'à la dérobée, je sentais que ces apprêts
pompeux étaient vivants et que c'était la nature elle-même qui, en
creusant ces découpures dans les feuilles, en ajoutant l’ornement
suprême de ces blancs boutons, avait rendu cette décoration digne
de ce qui était à la fois une réjouissance populaire et une solennité
mystique. Plus haut s'ouvraient leurs corolles çà et là avec une
grâce insouciante, retenant si négligemment, comme un dernier
et vaporeux atour, le bouquet d'étamines, fines comme des fils de la
Vierge, qui les embrumait tout entières, qu'en suivant, qu'en essayant
de mimer au fond de moi le geste de leur efflorescence, je l'imaginais
comme si ç'avait été le mouvement de tête étourdi et rapide, au regard
coquet, aux pupilles diminuées, d'une blanche jeune fille, distraite et vive.
Marcel Proust La Recherche Du coté de chez Swann page 112 La Pléiade 1954