samedi 16 février 2013

Les deux Amis



Houps et Dawson




Deux vrais amis vivaient au Monomotapa;
L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre.
            Les amis de ce pays-là
            Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.

Une nuit que chacun s'occupait au sommeil,
Et mettait à profit l'absence de soleil,
Un de nos deux amis sort du lit en alarme ;
Il court chez son intime, éveille les valets :
Morphée avait touché le seuil de ce palais.
L'ami couché s'étonne; il prend sa bourse, il s'arme,
Vient trouver l'autre et dit : «Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paraissez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme :
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée ; allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul? Une esclave assez belle
Était à mes côtés ; voulez-vous qu'on l'appelle ?
- Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point:
            Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes, en dormant, un peu triste apparu ;
J'ai craint qu'il ne fut vrai; je suis vite accouru.
            Ce maudit songe en est la cause.»

Qui d'eux aimait le mieux ? Que t'en semble, lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose!
Il cherche vos besoins au fond de votre coeur;
            Il vous épargne la pudeur
            De les lui découvrir vous-même :
            Un songe, un rien, tout lui fait peur
            Quand il s'agit de ce qu'il aime.


La Fontaine   Fables

vendredi 8 février 2013

Le droit de suivre son chemin




" Mesdemoiselles, ce n'est point sous les espèces du
vocabulaire et de la syntaxe que la Littérature commence à
nous séduire. Rappelez-vous tout simplement comme les
Lettres s'introduisent dans votre vie. Dans l'âge le plus
tendre, à peine cesse-t'on de nous chanter la chanson qui
fait le nouveau né sourire et s'endormir, l'ère des contes
s'ouvre. L'enfant les boit comme il buvait son lait. Il exige
la suite et la répétition des merveilles ; il est un public
impitoyable et excellent. Dieu sait que d'heures j'ai
perdues pour abreuver de magiciens, de monstres, de
pirates et de fées, des petits qui criaient : Encore! à leur
père épuisé." 


Daniel Pennac