dimanche 29 novembre 2015

Prendre le risque de l'autre



Sachons prendre le risque de la vie, celui de l'autre, et
sachons l’accueillir jusque dans son corps. Cela nous oblige
alors à un toucher de vérité où rien ne reste inachevé.
D'étape en étape, chaque phase de notre destin s'accom-
plira et au soir de notre vie, nous saurons que notre mort
a honoré notre naissance. Car le destin ne peut mourir.
Notre histoire peut s'arrêter, mais l'histoire ne s'arrête pas.
Dans un de ses livres, Jean Giono pose cette question :
"Qu'as tu ajouté au monde ?" A notre naissance, un tout
petit panneau indicateur porte cette inscription : "tu es 
prié de quitter cet endroit en le laissant pus beau que tu
ne l'as trouvé en arrivant." Celui qui oeuvre dans ce sens
ne meurt pas et la tâche qu'il a accomplie perdure à jamais,
quel que soit le domaine où elle s'est exercée.

                                                                                   

                                                                                 Yvan Amar   L'Effort et la Grâce

mardi 8 septembre 2015

Un tempo pour Consuelo




En s'interrogeant à cet égard avec sévérité,Consuelo reconnut
qu'elle ne se faisait aucune illusion et qu'elle n'avait pas la plus
secrète émotion de désir pour Anzoleto. Elle ne l'aimait plus dans le
présent, elle le redoutait et le haïssait presque dans un avenir où sa 
perversité ne pouvait qu'augmenter ; mais dans le passé elle le ché-
rissait à un tel point que son âme et sa vie ne pouvaient s'en détacher.
Il était désormais devant elle comme un portrait qui lui rappelait un
être adoré et des jours de délices et, comme une veuve qui se cache 
de son nouvel époux pour regarder l'image du premier, elle sentait
que le mort était plus vivant que l'autre das son cœur. 


Consuelo     George Sand      page 466 ed Phébus

samedi 18 juillet 2015

Le mois de Marie ou le feston d'aubépines




C'est au mois de marie que je me souviens d'avoir commencé à
aimer les aubépines. N'étant pas seulement dans l'église, si sainte,
mais où nous avions le droit d'entrer, posées sur l'autel même, 
inséparable des mystères à la célébration desquels elles prenaient
part, elles faisaient courir au milieu des flambeaux et des vases 
sacrés leurs branches attachées horizontalement les unes aux autres
en un apprêt de fête, et qu'enjolivaient encore les festons de leur 
feuillage sur lequel étaient semés à profusion, comme sur une traîne
de mariée, de petits bouquets de boutons d'une blancheur éclatante.
Mais, sans oser les regarder qu'à la dérobée, je sentais que ces apprêts
pompeux étaient vivants et que c'était la nature elle-même qui, en 
creusant ces découpures dans les feuilles, en ajoutant l’ornement
suprême de ces blancs boutons, avait rendu cette décoration digne
de ce qui était à la fois une réjouissance populaire et une solennité
mystique. Plus haut s'ouvraient leurs corolles çà et là avec une 
grâce insouciante, retenant si négligemment, comme un dernier 
et vaporeux atour, le bouquet d'étamines, fines comme des fils de la
Vierge, qui les embrumait tout entières, qu'en suivant, qu'en essayant
de mimer au fond de moi le geste de leur efflorescence, je l'imaginais
comme si ç'avait été le mouvement de tête étourdi et rapide, au regard
coquet, aux pupilles diminuées, d'une blanche jeune fille, distraite et vive.



Marcel Proust       La Recherche Du coté de chez Swann                 page 112 La Pléiade 1954


jeudi 11 juin 2015

MOI sans"moi"




                             “Tout homme est un livre où Dieu lui-même écrit.”

                                                                         Victor Hugo    Les Contemplations

samedi 2 mai 2015

Spleen




J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.
 Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
 De vers, de billets doux, de procès, de romances,
 Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
 Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
 C’est une pyramide, un immense caveau,
 Qui contient plus de morts que la fosse commune.
 – Je suis un cimetière abhorré de la lune,
 Où comme des remords se traînent de longs vers 
Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers. 
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,
 Où gît tout un fouillis de modes surannées,
 Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,
 Seuls, respirent l’odeur d’un flacon débouché.
 Rien n’égale en longueur les boiteuses journées,
 Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
 L’ennui, fruit de la morne incuriosité,
 Prend les proportions de l’immortalité.
 – Désormais tu n’es plus, ô matière vivante !
 Qu’un granit entouré d’une vague épouvante,
 Assoupi dans le fond d’un Saharah brumeux ; 
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux, 
Oublié sur la carte, et dont l’humeur farouche
 Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche. 


Charles Baudelaire       Les Fleurs Du Mal



vendredi 24 avril 2015

Miroir



En réalité, chaque lecteur est quand il lit le propre lecteur
de soi-même. L'ouvrage de l’écrivain n'est qu'une espèce 
d'instrument optique qu'il offre au lecteur afin de lui per-
mettre de discerner ce que sans ce livre il n'eût peut-être 
pas vu en soi-même. La reconnaissance en soi-même, 
par le lecteur, de ce que dit le livre, est la preuve de la 
vérité de celui-ci.

Marcel Proust  La recherche   le temps retrouvé


vendredi 13 mars 2015

Promenade en lieu inconnu



Lorsque, après avoir traversé le Mohawk, je me trouvai dans des
bois qui n'avaient jamais, non seulement été abattus, mais même
jamais été visités, je tombai dans une sorte d'ivresse, j'allai d'arbre en
arbre, à droite et à gauche indifféremment, me disant à moi même :
" ici, plus de chemins à suivre, plus de villes, plus d'étroites maisons,
plus de présidents, plus de républiques, plus de rois..." Et pour
essayer si j'étais enfin établi dans mes droits originels, je me livrais à
mille actes de volonté qui faisaient  enrager le grand Hollandais qui
me servait de guide, et dans son âme me croyait fou.

            Le chevalier de Sainte-Hermine    Alexandre Dumas    Phébus page 413

samedi 14 février 2015

La viellesse




 Je ne l'avais pas aperçu et je ne l'eusse sans doute pas
 reconnu, si on ne me l'avait clairement désigné. Il n'était
 plus qu'une ruine, mais superbe, et moins encore qu'une
ruine, cette belle chose romantique que peut être un rocher
dans la tempête. Fouettée de toutes parts par les vagues de
souffrance, de colère de souffrir, d'avancée montante de la
mort qui la circonvenaient, sa figure, effritée comme un bloc,
gardait le style, la cambrure que j'avais toujours admirés; elle
était rongée comme une de ces belles têtes antique trop
abîmées mais dont nous sommes trop heureux d'orner
un cabinet de travail . Elle paraissait seulement appartenir
à une époque plus ancienne qu'autrefois, non seulement
à cause de ce qu'elle avait pris de rude et de rompu
dans sa matière jadis plus brillante, mais parce qu'à
l'expression de finesse et d'enjouement avait succédé
une involontaire, une inconsciente expression, bâtie par
la maladie, de lutte contre la mort, de résistance, de
difficulté à vivre. Les artères ayant perdu toute souplesse
avaient donné au visage jadis épanoui une dureté sculpturale.
Et sans que le duc s'en doutât,il découvrait des aspects de
nuque, de joue, de front, où l'être, comme obligé de se raccrocher
avec acharnement à chaque minute, semblait bousculé dans une
tragique rafale, pendant que les mèches blanches de sa magnifique
chevelure moins épaisse venaient souffleter de leur écume le
promontoire envahi du visage. Et comme ces reflets étranges, 
uniques, que seule l'approche de la tempête où tout va sombrer
donne aux roches qui avaient été jusque-là d'une autre couleur,
je compris que le gris plombé des joues raides et usées, le gris
presque blanc et moutonnant de mèches soulevées, la faible
lumière encore départie aux yeux qui voyaient à peine, étaient
des teintes non pas irréelles, trop réelles au contraire, mais
fantastique et empruntées à la palette, à l'éclairage, inimitable
dans ses noirceurs effrayantes et prophétique, de la vieillesse,
de la proximité de la mort.

   Marcel Proust     La Pléiade 1954   Le temps retrouvé   page 1017-1018

mercredi 4 février 2015

Ici, entre hier et aujourd’hui




Prenez ma nouvelle adresse
Je vis dans le vent sucré des îles nacrées
Et à ma nouvelle adresse
Une fille s´amuse à rire de mes souvenirs

Pierre Perret

jeudi 15 janvier 2015

J'aime tant les animaux !!!!



On aime les gens et on les tue : Pan ! 
Ah oui, vraiment, l'amour est amusant. 
Les vaches qu'on aime, on les mange quand même. 
Ah oui, vraiment, l'amour, c'est tout un système 



Ah, je dis la paix et je fais la guerre. 
Je suis un habitant de la Terre. 
Nageant chez les gens, à la fête, avec ma trompette, 
Je fais semblant d'être, semblant d'être. 

Alain Souchon

mardi 6 janvier 2015

Bonne année




Ce qu'il y a d'admirable dans le bonheur des autres, c'est qu'on y croit.

Marcel Proust